Culture en espace sensible
La Cie Attention Fragile a fait le pari d’organiser son festival à l’intérieur d’un Espace Naturel Sensible, dans un quartier sensible. Lulu Koren, Pascale Baudin et Julie Fourmond de la Cie Fragile reviennent sur la construction et l’organisation de la première édition du Festival Fragile et fait la lumière sur les opportunités à monter un tel projet.
Comment a été pensé le Festival Fragile ?
A l’origine, nous avions envie de faire un festival dans le Var, un festival hors saison pour les gens du territoire. Et c’est lors d’une réunion avec le Département que l’idée d’organiser un festival dans un Espace Naturel Sensible a émergé. Il se trouve que le Jardin du Las, dans Toulon ouest en est un. Ce jardin, qui accueille notamment le musée d’histoire naturelle, est situé dans un quartier un peu sensible. Cette implantation répondait bien à la philosophie du projet de la compagnie qui n’est pas d’arriver-jouer-repartir, mais de programmer des interventions artistiques avec les gens du quartier, avec les centres sociaux et les collèges.
Vous n’avez pas simplement construit, le festival, vous l’avez co-construit, pouvez-vous nous expliquer comment ?
Le musée, qui est donc à l’intérieur du jardin, nous a beaucoup aidé. Quatre scientifiques ont d’ailleurs pris part à l’organisation du festival et nourrit le projet en contribuant aux balades artistiques : pendant ces balades, le public fait le tour du jardin et découvre des spectacles de 10 et 15 minutes, et entre chaque spectacle, chaque intervenant du musée avait écrit un texte sur l’un des éléments naturels du parc : la roche, les plantes, les animaux…
C'est la première fois que l’on travaillait avec des scientifiques et c’est très intéressant de faire se croiser deux mondes qui ne se connaissent pas, qui n’ont pas le même langage.
Trois semaines avant le festival, nous avons aussi travaillé avec le Centre Social Toulon Ouest, des associations de femmes, d'enfants, une école. C’est ce public-là, du quartier, qui est venu voir les représentations. Et tous ces gens se sont retrouvés à rencontrer ces scientifiques, poser des questions. Bref, ils se sont rencontrés entre voisins.
Investir un Espace Naturel Sensible engendre beaucoup de contraintes. Quels renoncements avez-vous dû faire ?
Jouer dans un tel espace nécessite énormément de contraintes techniques, qui sont apparues au fil des discussions avec la personne en charge de l’ENS. Il nous a fallu, par exemple, monter le matin et démonter le soir, revoir le matériel technique utilisé (lumineux et sonores), adapter les spectacles et se rendre compte que la magie d’un lieu participe pleinement à la mise en scène.
Une contrainte portait également sur le transfert d’argent - interdit dans un espace naturel sensible. Il a fallu renoncer à la billetterie, à la buvette. Nous avons donc dû chercher d’autres subventions, mais aussi réduire la durée du festival.
Que retirez-vous de cette expérience ?
Nous nous sommes ouverts à plus de gens. Les échanges que nous avons eus avec le musée, les centres sociaux, les habitants ont permis de donner une nouvelle vision au festival, de l’enrichir.
Le fait de rencontrer les gens en amont nous a également beaucoup aidé en termes de communication. Très peu de flyers ont été imprimés (une centaine) et ils ont été distribués dans des lieux bien précis avec qui nous avions noué des liens. Ensuite, c’est le bouche-à-oreille qui a pris le relais. Cela fonctionne très bien lorsque l’on travaille sur un territoire local.
Et puis, ce festival a permis de faire venir un public qui ne vient jamais dans ce jardin parce qu'il pense que ce n’est pas pour lui. Là, les habitants du quartier se sont appropriés des espaces qui sont les leurs.
Créer une passerelle entre l’écologie et les habitants, pour qui l’écologie n’est pas leur problématique principale, y a aussi un peu ce match, non ?
Ça l'est devenu quand on disait aux enfants qui goûtent et laissent les papiers par terre : « Allez, venez, on ramasse ensemble pour les mettre dans la poubelle ». Certains tapaient sur les arbres, là c’étaient des gens du Musée qui expliquaient pourquoi on ne tape pas sur les arbres et ça, c'est aussi le début de l'écologie. Pendant la semaine, nous sommes aussi intervenus dans deux collèges avec des ateliers portant sur les revendications des enfants en lien avec l’écologie. En travaillant avec les professeurs, nous avons créé des pancartes sur les revendications des élèves, qui ont fait une manif écologique dans le jardin.
Comment envisagez-vous la prochaine édition ?
Il nous faudra aussi travailler sur la mobilité du public parce que l’on s’est rendu compte que le dimanche, par exemple, il y n’a plus de transports en commun pour venir au jardin du Las. Cela veut dire que des gens ne sont pas venus ou ont utilisé leur voiture.
Pour les prochaines éditions, l’idée est aussi de faire jouer plus de compagnies de la région et de développer le festival sur trois week-ends et une semaine.
Nous souhaitons également nous ouvrir au jeune public en travaillant avec une école primaire qui est juste à côté du jardin et dont le directeur a entendu parler du festival.